Il y a deux ans, le magazine Forbes publiait des chiffres intéressants sur le marché mondial de l’intelligence artificielle en matière d’emploi :

  • (sans surprise) depuis 2010, l’IA a fortement le vent en poupe
  • l’IA s’immisce de plus en plus dans les métiers (de 5 à 15 fois plus présente dans un métier pris au hasard, d’après Indeed)
  • on est passé de 6 000 offres sur Monster en 2015 à 28 000 offres en 2017
  • et surtout, l’argent que rapporte l’IA aux entreprises double quasiment tous les ans (selon statista)

Dans ce cadre on peut se demander comment évolue l’intelligence artificielle et les nombreux métiers qui la composent ? Et surtout, que peut-on faire maintenant pour booster l’employabilité de demain ? Nous verrons donc les 7 propositons de l’Observatoire des Métiers du Futur et la manière dont on peut les adapter au monde de l’IA, avant de réfléchir à ce qui attend nos enfants.

Quels sont les métiers de l’intelligence artificielle ?

Avant d’entamer cette partie, je tiens à rappeler que la définition des métiers suivants est subjective : dans de nombreuses entreprises, j’ai par exemple découvert que le data scientist était chargé de la gestion de la base de données (originellement dédié au data architect/engineer)

–> le périmètre d’un poste dépend évidemment de la taille de l’entreprise et du nombre de collaborateurs/du budget/des besoins de son département

Traditionnellement, on retrouve les métiers suivants de l’intelligence artificielle :

  • Data architect : il gère (conçoit) le stockage de la donnée et son infrastructure
  • Data engineer : il maintient (exploite) la donnée et implémente (invente/traduit) les requêtes qu’on lui demande pour la base de données
  • Data analyst : il réalise (imagine) des graphiques permettant de visualiser la donnée à disposition et les requêtes utilisées; son rôle est également de fournir des « insights » préliminaires sur les données
  • Data scientist : c’est le métier dont tout le monde parle, souvent confondu/fusionné avec les autres métiers présentés ici. Son rôle est de requêter la donnée (si la requête est complexe/pour la production, c’est le rôle du data engineer de la lui fournir), d’implémenter des algorithmes voire de les imaginer/adapter (s’il n’y a pas de ML engineer), de réaliser des graphiques (sur des analyses avancées liées aux algorithmes)
  • Machine Learning (ML) engineer : il crée ou adapte judicieusement des algorithmes de machine learning
pipeline métiers ia
(crédit : Lambert Rosique – Tous droits réservés)

Ce dernier métier me permet de rappeler brièvement ce que l’on appelle aujourd’hui « intelligence artificielle » : c’est un algorithme dont le résultat se veut « un minimum intelligent » (i.e. comparable à celui d’un expert humain). Cela ne vous aide pas ? Bon, de manière plus intime, l’intelligence artificielle contient à peu près n’importe quel algorithme « utile » (même si ce n’est que des SI… ALORS… cf le lien plus haut), par exemple prédiction de la consommation électrique d’un foyer, identification automatique de ses photos, etc…

Le machine learning de son côté est plus précis : c’est l’utilisation d’analyses statistiques en vue de prédire de nouvelles valeurs (par exemple, les hommes mesurent en moyenne 1m75 en France, donc si on me donne un homme que je n’ai jamais vu, de base je prédirai qu’il mesure 1m75 avant d’affiner si j’ai d’autres critères pertinents).

Le deep learning est une sous-branche du machine learning qui s’appuie sur les réseaux de neurones. Dans la pratique, les algorithmes sont des enchaînements de formules mathématiques en strates (cf les réseaux de neurones artificiels).

Enfin, le reinforcement learning repose davantage sur la théorie des jeux pour apprendre à des intelligences artificielles à évoluer de manière autonome (i.e. dans ce cas : sans qu’un humain contrôle directement le flux d’informations entrant).

Si tout cela vous parait vaste et abstrait, c’est normal ! L’intelligence artificielle est autant vieille (années 50) que jeune ! Pour nous aider à y voir plus clair sur « de quoi pourrait bien être fait l’avenir et comment m’y préparer », j’ai posé la question à l’OMF directement.

Les 7 propositions de l’OMF sur l’employabilité et leurs applications à l’intelligence artificielle

L’Observatoire des Métiers du Futur (OMF) est un think tank dont la mission est d’étudier l’évolution des métiers que ce soit du point de vue des « données brutes » ou de celui des personnes concernées (notamment les recruteurs et les collaborateurs).

Fort d’une analyse de plusieurs mois et des retours/interviews de 300 acteurs aux profils variés, l’OMF a publié son premier livre blanc il y a quelques jours portant sur ses « 7 propositions pour booster l’employabilité« . Regardons ensemble comment elles s’appliquent au milieu de l’intelligence artificielle, dont les exigences vont croissantes avec la sortie d’école de masters et ingénieurs désormais spécialisés en IA !

Livre blanc de l’Observatoire des Métiers du Futur, disponible sur le site metiersfutur.com (crédit : Observatoire des Métiers du Futur – Tous droits réservés)

1. Réaliser une vraie transformation digitale

La transformation digitale est le processus qui permet aux entreprises d’intégrer l’ensemble des technologies digitales à disposition (que ce soit des langages, des outils comme Git, des techniques/méthodes par exemple agiles, des protocoles comme le bluetooth…) dans leurs activités.

L’enjeu est double : pour la société, rester compétitive et exploiter l’ensemble des avancées récentes pour fournir un service toujours plus poussé. Pour l’employé, le but est de garder un profil attractif et de ne pas être dépassé notamment par l’intelligence artificielle (aujourd’hui capable de faciliter les tâches basiques).

En deep learning, cela se traduit notamment par le suivi des discussions autour d’un processus de certification des réseaux de neurones (pour l’aéronautique, les voitures autonomes…), la pratique de nouveaux algorithmes : quasiment chaque mois, une architecture innovante « bat les records » d’analyse de texte et de génération d’image !

(crédit : CEPEJ – Tous droits réservés)

2. Devenir un DRH du futur

Jusqu’au début des années 2010, il était rare que les DRH (que ce soit pour le recrutement ou la gestion des employés) soient issus de formations/métiers techniques en informatique. Ceci étant, aujourd’hui la situation a bien évoluée pour deux raisons principales :

  • En se formant aux métiers qu’ils encadrent, les DRH sont capables de mieux comprendre/anticiper les problèmes que rencontrent leurs collaborateurs et sont plus « crédibles » dans leur rôle (à l’image des managers)
  • L’intelligence artificielle a un impact très fort sur le recrutement car son utilisation présente de nombreux avantages (gain de temps, moins de discrimination, meilleure anticipation de la « valeur » d’un employé) confirmés par 76% des recruteurs selon LinkedIn, et puisqu’elle semble indispensable à mettre sur son CV au même titre à une certaine époque que la « suite Microsoft Office » (sous réserve d’avoir une expertise justifiée !)
(crédit : Lambert Rosique – Tous droits réservés)

3. Repenser l’organisation et les nouvelles formes de travail

Avec la crise de la maladie du Covid-19 (coronavirus), le télétravail a connu un boom fulgurant, même si je le vivais de plus en plus chez nos clients (notamment Orange et Cdiscount) où une partie de la masse salariale avait déjà la possibilité de rester chez elle un à deux jours par semaine.

L’intelligence artificielle étant un métier totalement « virtuel » (i.e. elle ne nécessite qu’un ordinateur voire un simple accès à internet pour le développement dans le cloud), elle s’inscrit dans la logique actuelle des choses et on conseille de cibler le soft-skill « autonomie » (à pouvoir justifier, comme d’habitude).

Evolution du nombre d’auto-entrepreneurs en France jusqu’en 2017 (crédit/source : Boursorama/IDIX – Tous droits réservés)

A noter également que l’auto-entrepreneuriat se développe rapidement puisque l’OMF cite une hausse de 16.5% du nombre d’auto-entrepreneurs inscrits (soit 1 565 000 mi-2019, page 32 du livre blanc). En prenant en compte le nombre de postes à pourvoir en intelligence artificielle, les freelances de ce secteur de pointe devraient augmenter d’ici quelques années.

4. Faire des métiers les contributeurs d’une raison d’être authentique

Sans vouloir faire de politique, Emmanuel Macron a annoncé hier le nouveau plan lié à la crise planétaire du Covid et a surtout dit qu’il souhaite « la reconstruction d’une économie forte, écologique, souveraine et solidaire« . Cette volonté de donner du sens à ce que l’on fait, ce que l’on produit et même ce que l’on « apprend » chaque jour est mise en avant pour la première fois par l’Observatoire des Métiers du Futur :

  • l’intelligence artificielle fait rêver;
  • l’intelligence artificielle pose des questions éthiques, techniques et culturelles intéressantes;
  • l’intelligence artificielle offre la possibilité, dans une certaine mesure, de sauver la planète/ou de devenir immensément riche. Alors quels choix allons-nous faire ?

Ce qui est certain : l’IA devrait aider à combler cette quête de sens chez beaucoup de personnes, pour un peu qu’on ne soit pas réfractaires à la technologie (et « la technologie pour la technologie ») !

Quels sont les facteurs qui influent notre « sens d’utilité » au travail ? (crédit : My Happy Job – Tous droits réservés)

5. Mettre l’emploi, et par conséquent l’humain, au cœur des métiers du futur

Ce point n°5 est intéressant lorsqu’on l’aborde par le prisme de l’intelligence artificielle, car pour beaucoup « IA » rime avec « robot ». Mais est-ce le cas ?

S’il est possible de créer des intelligences artificielles sans (vouloir) leur donner de corps physique, comme une IA d’aide au recrutement, de prévision météorologique, de prédiction du cours de la Bourse, ou encore d’analyse d’image, il est fort probable que ces « mini-intelligences artificielles » soient regroupées dans des robots à l’avenir (par exemple le robot NAO contient des modules de traitement du langage, d’analyse d’image, de planification, etc…) car c’est probablement là leur vraie valeur. Sans compter le développement d’outils de programmation entièrement automatisés, y compris pour la partie tests unitaires du code (cf la start-up Ponicode)…

On peut donc en conclure que si « IA » ne rime pas directement avec « robot », l’humain semble être progressivement écarté… Ou pas. En effet, l’OMF souligne une fois de plus la transformation des métiers AVANT la disparition des métiers (liée à l’automatisation) : « les deux pays les plus robotisés au monde sont le Japon et l’Allemagne, et leurs taux de chômage respectifs sont parmi les plus bas, autour de 3% ». Ceux qui construisent les intelligences artificielles sont encore des humains, même si un algorithme peut « optimiser un système, voire en découvrir un meilleur ». Il nous incombera toujours de choisir quelle direction veut prendre l’Humanité, et quelle doit être l’éthique de demain.

6. Adresser l’enjeu des soft skills

Les soft skills sont les compétences comportementales humaines (l’autonomie, la motivation, l’acharnement, etc…), opposées aux hard skills (i.e. compétences techniques : savoir programmer en Python, maîtriser le framework AngularJS, etc…).

De manière contre-intuitive on pourrait penser qu’en intelligence artificielle il faut cumuler la maîtrise d’algorithmes et de concepts pour être attractifs. Sur le court-terme, oui c’est vendeur, mais si on s’intéresse à la vitesse d’évolution des compétences il ressort que la durée de vie moyenne d’un langage (et parfois d’un algorithme) est de 2.5 ans d’après l’APEC.

Il apparaît comme crucial de rester formé de manière globale en cultivant notre capacité à rentrer précisément dans un algorithme, ou à réaliser un « état de l’art » partiel pour utiliser une technologie novatrice et évoluer dans son travail. Cela repose donc sur les soft skills de :

  • l’autonomie/la curiosité : suivi et autoformation
  • l’adaptabilité/l’esprit critique : être en capacité de comprendre rapidement un nouveau domaine
  • l’esprit d’initiative/l’agilité : l’IA étant vaste, il est facile de passer à côté d’une solution plus viable ou justifiée
  • la communication/la présentation : il faudra pouvoir expliquer simplement ce que vous faites et pourquoi/comment à vos collègues

Pour la partie « hard skill », un bon début est de connaître dans les grandes lignes la carte interactive de l’intelligence artificielle de KnowMap.org

Carte des savoirs « KnowMap » autour de l’Intelligence Artificielle (crédit : Lambert Rosique – Tous droits réservés)

7. Former à grande échelle et développer l’apprentissage permanent

Cet aspect a largement été abordé dans notre tutoriel sur « Comment bien débuter en Intelligence Artificielle » et plus particulièrement dans la partie 3 dédiée à l’auto-formation et aux manières d’être pro-actifs (et donc attractif).

Conclusion : quels seront les métiers de demain en IA ?

Même en ayant écrit tous ces paragraphes sur le sujet et sur comment s’y préparer, la question reste très difficile. Dans une certaine mesure, je serai tenté de dire « attendez le 2ème livre blanc de l’OMF, car on travaille sur une analyse via l’intelligence artificielle du marché afin de pouvoir répondre ». Mais ce serait trop facile, surtout vu le titre de mon article qui promettait (dans une certaine mesure) des réponses.

Voici donc ce que je peux vous dire (et qui n’engage que mon opinion).

  • plusieurs milliers de postes sont ouverts en intelligence artificielle rien que ce mois-ci :
    • Pôle emploi recense 1496 offres d’emploi en intelligence artificielle
    • Indeed 1255
    • OptionCarriere 2015
    • APEC 813
    • Monster 888
    • AI Jobs 1600 sur les trente derniers jours
  • les utilisations de l’IA sont nombreuses dans les secteurs suivants :
    • domaine médical
    • industrie
    • banques et assurances
    • grande distribution
    • domotique
    • transports
    • domaine juridique
    • publicité et média
    • agriculture
  • les principaux enjeux de l’IA sont actuellement :
    • l’obtention de données de qualité (fiables, annotées, en quantité suffisante)
    • l’explicabilité des modèles (i.e. comprendre les limites de l’IA et valider qu’elle « comprend » bien ce qu’elle fait)
    • la diminution/caractérisation des biais liés à l’IA (par exemple, éviter que l’IA ne soit raciste à cause des données d’entraînement)
    • la formation des populations à l’IA pour leur en donner une intuition (une technologie incomprise et à laquelle on ne fait pas confiance est inutile), notamment pour les voitures autonomes
    • la définition un cadre légal et éthique
    • la sécurité : lutte contre les deep fakes et protection des algorithmes
    • la simplification des modèles (qui deviennent de plus en plus gourmands en énergie) et la diminution du nombre de données requises
  • 85% des métiers de 2030 n’existent pas encore (rapport de Dell en 2017)

Ainsi, les travaux de recherche autour du deep learning et reinforcement learning sont fortement amenés à se développer, avec un nouveau métier qui devra faire la passerelle entre la recherche et l’industrie. Ce rôle est aujourd’hui rempli par le ML engineer, indispensable en IA car le domaine est très pointu théoriquement mais « rapidement applicable » (et rentable).

Des métiers autour de la certification des systèmes intelligents vont devoir être qualifiés dans les gouvernements, et un pendant « juridique » sera retrouvé dans les entreprises. Aujourd’hui, elles ne sont d’ailleurs pas vraiment équipées en cas d’erreur critique d’un algorithme de machine learning…

En se re-penchant sur l’allocution du Président Emmanuel Macron du 14/06/20, des métiers de conseil/audit autour de la gestion énergétique des algorithmes (d’IA ou non) utilisés dans les entreprises est à prévoir sur le long terme, surtout quand on sait qu’une IA pollue autant que 5 voitures (sur toute leur vie) !

Les conférences et formations privées en intelligence artificielle, telles celles que j’ai l’occasion de donner régulièrement, vont devenir progressivement indispensables pour les sociétés avant que les compétences ne soient intégrées en interne, même si pour l’instant leur attention est tournée vers « l’acquisition et le stockage des données » (big data). Au niveau des freelances, je leur recommande de suivre l’actualité de l’IA car à mon avis de nombreuses PME ne pourront pas rester à jour et dépendront de leur « vision d’ensemble ».

Enfin, des métiers sont déjà en train d’émerger autour des données, que ce soit des jobs étudiants d’annotation de photos ou la vente de scripts capables d’aspirer des sites web puis de les « digérer » et de les synthétiser en vue d’une exploitation.

Dans les entreprises, il devient également difficile de distinguer un « nouveau métier » (par exemple « data manager » ou encore « chef de projet data ») d’une spécialisation d’un métier existant. Mais au vue de l’importance que prend la data dans notre vie et dans l’IA, tout comme la data science a progressivement remplacé (en partie) la business intelligence, on peut prévoir de nombreuses variantes autour de l’étude et la gestion de la donnée : en conseil, en valorisation, en exploitation ou pour les postes liés à un projet informatique classique.

J’espère que cet article un peu plus engagé que mes tutoriels habituels vous aura plu, n’hésitez pas à m’envoyer vos opinions sur le futur de l’IA sur notre Discord de la communité IA française : https://discord.gg/AABkVxs !

Crédit de l’image de couverture : HammerandTuskPixabay License