Nous voici au deuxième opus de notre série sur les fausses croyances sur le système nerveux humain. Nous allons aborder le mythe du cerveau droit versus le cerveau gauche. Si vous l’avez manqué, n’hésitez pas à aller jeter un œil sur notre premier article: Les neuromythes : nous n’utilisons que 10% de notre cerveau!
Mythe n°2 : cerveau droit versus cerveau gauche
Alors ? Avez-vous un esprit logique, mathématique et rationnel ou plutôt intuitif, créatif et émotionnel ? Cerveau gauche ou cerveau droit ? Faites le test !
Vous êtes sûrement déjà tombés sur ce genre de questionnaire de personnalité. Le fait est que ce neuromythe du cerveau droit vs gauche, encore assez répandu en psychologie, a la peau dure. Notre cerveau possède bel et bien deux hémisphères, et notre esprit désespérément humain ne résiste pas à l’envie de les opposer, de voir une dichotomie partout et de placer les concepts dans des cases.
Organes pairs et impairs
Dans le règne animal, c’est la symétrie bilatérale qui est la plus répandue, ce qui signifie que nous sommes organisés selon un axe central, avec une droite, une gauche, un avant et un arrière. Les deux hémisphères du cerveau reçoivent et envoient les signaux moteurs et sensitifs de manière croisée, c’est-à-dire que l’hémisphère gauche contrôle la moitié droite de notre corps, ou encore que l’hémisphère droit reçoit les stimuli sensoriels de notre moitié gauche. Malgré cette apparente symétrie, il est bien connu que certains de nos organes sont orientés ou ne sont pas doubles, comme notre foie, notre cœur ou notre pancréas. Le cerveau également comporte des structures paires identiques comme l’hippocampe impliqué dans la mémoire, mais aussi d’autres latéralisées comme celle que l’on va décrire.
L’aire de Broca dans l’hémisphère gauche
Suite à une lésion au niveau de la troisième circonvolution de l’hémisphère gauche d’un patient, Paul Broca constate une aphasie (perte du langage) de celui-ci et découvre en 1861 l’aire qui portera son nom impliquée dans la production du langage. Carl Wernicke a quant à lui découvert l’aire qui lui est souvent associée, plutôt sollicitée dans la compréhension des mots. Ces trouvailles mirent en avant une dominance hémisphérique gauche pour le langage, tandis que l’hémisphère droit fût démontré comme plutôt impliqué dans les fonctions visuo-spatiales. En effet, un homme souffrant d’hémiplégie gauche (donc de lésion dans l’hémisphère droit) avait du mal à reconnaître son entourage ou le visage de personnes familières.
Rapidement, un parallèle se fait : nous aurions donc deux hémisphères spécialisés chacun dans une tâche, le gauche dans le langage et le droit dans la reconnaissance visuelle. L’imaginaire collectif ainsi que de nombreuses œuvres de l’époque (comme « Strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde » de Stevenson) s’accordent alors sur deux parties opposées, une civilisée et une plus primaire qu’il faut dompter en chacun de nous. Ainsi, le langage et la compréhension des mots sont associés plus globalement à la conceptualisation, la logique, et au raisonnement rationnel tandis que le droit dans des fonctions presque animales, le repérage spatial, l’intuitif et l’émotionnel. Il va sans dire que l’on va même jusqu’à attribuer le cerveau gauche pragmatique aux hommes, et le cerveau droit affectif aux femmes…
Les cerveaux divisés
Cette théorie se renforce suite aux expériences dans les années 1960 par Gazzaniga et Sperry sur les « cerveaux divisés » qui consistait à sectionner le corps calleux (épais faisceaux d’axones qui servent de connexion entre les deux hémisphères) chez des patients atteints d’épilepsie. Ainsi, l’information ne pouvait plus circuler entre le côté droit et gauche, rendant chaque hémisphère indépendant. Les tests qui ont suivi ont démontré que chaque partie préservait sa fonction, le gauche associant un objet à sa fonction et le droit à son apparence. Par exemple, à la vue d’un gâteau, l’hémisphère gauche génère l’idée d’une fourchette ou d’une cuillère, le droit l’image d’un chapeau.
Les deux hémisphères fonctionnent de pair
Cependant, l’imagerie cérébrale fit rapidement évoluer cette vision trop simpliste des choses : l’IRM fonctionnelle et les électroencéphalogrammes (EEG) montrèrent que lors de la production du langage, les deux hémisphères étaient sollicités en même temps, le gauche pour la formation de vocabulaire et de grammaire, le droit pour l’intonation et l’accentuation. De même, pour la reconnaissance visuelle, le droit était sollicité pour une vision globale d’un environnement, le gauche plutôt pour le focus sur des détails.
La réalité est que le cerveau comporte bel et bien des structures spécialisées dans certaines tâches et latéralisées, afin d’accroître l’efficacité du traitement de l’information. Cela dit, toutes ces structures communiquent entre elles afin de former un tout. Notre cerveau est plastique et peut, de plus, réorganiser les trajets neuronaux au grès des apprentissages de la vie et de possibles affections des tissus. De ce fait, il n’y a pas de personnalité définie par la spécialisation d’un hémisphère par rapport à l’autre car le bon traitement d’une information ne peut se faire qu’avec la collaboration des deux côtés. C’est bel et bien notre cerveau dans son ensemble qui nous définit, et pas un prétendu « droit ou gauche ».
Le mot de la fin:
« Malgré des bases expérimentales manifestement peu étayées, la théorie des deux cerveaux a séduit beaucoup de monde car elle est simple et cristallise une représentation bipolaire du monde. On ne s’étonnera pas que cette théorie soit devenue le creuset de toutes sortes de spéculations plus ou moins mystiques. Dans les années 70, à l’heure où le mouvement hippie recherchait des méthodes d’épanouissement, de nouveaux gourous ont exploité le filon symbolique des deux cerveaux, présentés comme le yin et le yang. A gauche le langage, la raison, l’esprit d’entreprise et tout ce qui représente les valeurs de l’Occident. A droite, la perception de l’espace, l’affectivité, la contemplation et les valeurs de l’Orient et de l’Asie. Nombres d’ouvrages et de stage « d’initiation » proposaient des méthodes pour « penser équilibré ». Et le filon n’est toujours pas épuisé ! Ces arguments sont toujours utilisés dans une certaine presse grand public. »
Extrait tiré de Cerveau, sexe et pouvoir. de C Vidal, D Benoit-Browaeys.
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