Des chercheurs ont créé un nouveau type de neuroprothèse de main qui permet de sentir ce que l’on touche.
Le feedback sensorimoteur
Lorsque l’on parle du sens du toucher, on parle en réalité d’un grand nombre de sensations. En effet, afin de percevoir au mieux le monde qui nous entoure, nous sommes équipés de toute une palette de récepteurs sensitifs :
Dénomination | Stimulus associé |
Corpuscules de Ruffini | Pression, étirement de la peau, mouvement d’un objet à la surface de la peau |
Corpuscules de Pacini | Pression profonde, vibration, texture d’une surface |
Corpuscules de Meissner | Toucher fin, pression dynamique, forme et texture |
Disques de Merkel | Pression statique, position, forme |
Terminaisons libres (Nocicepteurs) | Douleur, température, tact grossier |
Propriocepteurs | Position des membres dans l’espace |
Thermorécepteurs | Température |
Récepteurs électromagnétiques | Ondes électromagnétiques |
Chémorécepteurs | Stimulus chimique |
Electrorécepteurs | Champs électrique, salinité, température |
Osmorécepteurs | Osmolarité des fluides |
Barorécepteurs | Pression dans les vaisseaux sanguins |
Hydrorécepteurs | Changements d’humidité |
(liste non exhaustive)
L’amputation d’un membre entraîne forcément une perte en mobilité. Cela dit, l’exécution d’un mouvement ne peut se faire correctement qu’avec un retour sensoriel, autrement dit un « feedback sensorimoteur ». Les stimuli sensitifs jouent un rôle majeur lors de la planification d’un mouvement dans le cortex prémoteur, mais aussi dans son ajustement durant toute sa durée, et enfin dans la vérification que ce mouvement a bien été correctement effectué.
Par exemple, pour boire un verre d’eau, vous allez préparer (inconsciemment) votre main à s’approcher du verre, pour cela votre cerveau doit savoir si elle est posée sur la table ou vos genoux afin de jauger la distance à parcourir. Ensuite, lorsque vous attrapez le verre, votre cerveau analyse la pression à exercer à sa surface pour ne pas le lâcher mais ne pas le casser non plus, s’il est mouillé et donc glissant, s’il n’est pas trop froid… Et enfin une fois le verre reposé, vous sentez qu’il est bien stable sur la table, que votre main n’est pas mouillée donc que le verre n’a pas été renversé… Bien sûr nous ne parlons ici que des stimuli sensitifs, et tous les autres sens sont mis à contribution également.
La plupart des neuroprothèses actuelles utilisent des électromyogrammes (EMG) pour mesurer les signaux électriques émis par les muscles résiduels dans le membre amputé pour générer un mouvement. De nombreuses prothèses myoélectriques sont déjà disponibles sur le marché, telles que celles de Brain Robotics, la Bebionic hand de Ottobock ou encore le LUKE Arm de Mobius Bionics, mais ne disposent que d’un contrôle efférent du mouvement, sans véritable retour sensoriel. La personne amputée doit alors se reposer entièrement sur sa vue pour savoir si son mouvement est correct et ne peut pas avoir le sentiment que ce membre artificiel lui appartient, ajoutant un inconfort.
La proprioception dans une neuroprothèse
La proprioception permet de savoir dans quelle position dans l’espace se trouve notre corps, si nos membres sont tendus, pliés, inclinés d’un côté. Pour ce faire, des propriocepteurs se situent principalement dans les fuseaux neuromusculaires et les organes tendineux de Golgi (situés à la jonction du tendon et du muscle). La proximité de ces récepteurs avec les motoneurones rend difficile l’activation des voies proprioceptives sans entraîner de contractions involontaires. De précédentes études ont permis de rendre certaines sensations aux patients amputés notamment par le biais d’électrodes implantées, de stimulations nerveuses de surface ou encore de substitutions sensorielles, mais l’aspect proprioceptif pourtant fondamental dans l’exécution du mouvement est resté négligé. L’équipe de P.D. Marasco a pu partiellement le simuler grâce à la réinnervation musculaire ciblée, cependant des sensations cutanées dans le membre fantôme venaient interférer avec la proprioception.
Principe de l’expérience. Deux électrodes sont implantées dans le nerf ulnaire et médian, et des capteurs de pression et de position sont placés dans la main artificielle. Les données de ces capteurs sont représentées sur les deux graphes.
C’est alors que les équipes de l’EPFL en Suisse, la Sant’Anna School of Advanced Studies à Pise et la A. Gemelli University Polyclinic de Rome en Italie ont pu créer une main bionique de nouvelle génération. Par le biais d’une technique plus invasive, la stimulation intraneurale (c’est-à-dire implanter des électrodes directement dans le nerf), ils ont pu reproduire non seulement une information sur la position du membre en temps réel mais aussi un retour somatotopique ! Pour ce faire, le patient était équipé d’une prothèse de main bougeant par le biais d’EMG de surface (les électrodes de l’EMG sont placées sur la peau). Lorsque la main se refermait sur un objet, des capteurs de pression et de position dans les doigts enregistraient le signal et le transformaient en impulsions électriques (l’amplitude de stimulation est directement proportionnelle à la position du doigt ou à la pression). Grâce aux stimulations émises directement dans les nerfs médian et ulnaire, le patient pouvait donc sentir ces paramètres. Les chercheurs ont ensuite effectué deux tests cliniques : le seuil de détection de mouvement passif et la reproduction de l’angle de l’articulation. Le premier test consiste à mesurer le plus petit déplacement de la prothèse nécessaire à ce que le patient détecte le mouvement, pour le second, il devait placer la main à une position angulaire bien précise.
Cette technique a permis à deux amputés de retrouver une grande précision proprioceptive, avec des résultats comparables à ceux obtenus chez des sujets sains. Grâce aux informations de position du membre et de retour sensitif simultanées, les deux sujets ont pu déterminer la taille et la forme de 4 objets avec un degré de précision de 75.5%.
L’équipe du professeur S.Micera de l’EPFL souhaite par la suite pouvoir restituer le retour sensoriel dans tous les doigts de la main car ici il ne s’agissait que de deux doigts, et aussi d’étendre le retour propriocepteur à d’autres articulation du membre supérieur.
Cette nouvelle neuroprothèse à sensations multimodales est très prometteuse pour permettre aux amputés de retrouver une autonomie et d’être moins impactés dans leur vie quotidienne aussi bien au niveau moteur que social.
Crédit de l’image de couverture : Tumisu – Pixabay License