Si les géants du web (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft alias le GAFAM) dominent largement le marché du numérique, l’intelligence artificielle ne leur appartient pas encore… Même si c’est en bonne voie.
Afin d’assurer à l’Humanité une intelligence artificielle globalisée apatride et indépendante, Ben Goertzel vient de proposer la toute première blockchain basée sur l’Ethereum pour héberger un groupement d’IA libres, appelée SingularityNet. Sur quoi s’appuie-t-il pour nous proposer cette alternative ? Quelles en seront les conséquences ?
Si vous connaissez tout de la blockchain et des contrats intelligents, vous pouvez passer le paragraphe suivant.
Blockchain et smart contracts ou contrats intelligents
Afin de bien comprendre comment peut fonctionner une blockchain d’IA, concept assez abstrait, revenons tout d’abord sur ce qu’est une blockchain, même si on en entend parler en permanence ces derniers mois : c’est tout simplement une base de donnée distribuée sans organe de contrôle.
Il s’agit donc, par exemple, d’un livre de transactions découpé et hébergé en plein d’endroits dans le monde, auquel tout le monde peut accéder et écrire dedans (avec certaines réserves). Le fait que tout le monde y ait accès permet à chacun de vérifier les informations (transactions) et d’empêcher toute falsification des données. Par exemple, si subitement je déclare avoir 100 bitcoins dans mon portefeuille, tout le monde pourra voir qu’aucune transaction ne m’en a jamais donné et donc que c’est impossible. Modifier le livre est également irréalisable, puisqu’il est dupliqué de nombreuses fois et que chaque page est signée par une fonction mathématique impossible à « imiter » (aucune modification de la page n’aura la même signature que la version d’origine)…
Bien entendu, une blockchain peut contenir d’autres informations que de l’argent seul, ce qui importe pour la suite c’est vraiment le système de fonctionnement.
Basée sur ces principes fondamentaux (contrôle, sécurité, confidentialité, indépendance), l’Ethereum est une crypto-monnaie qui fonctionne via une blockchain et introduit la notion de contrats intelligents (smart contracts en anglais). Véritable révolution et plein de promesses pour la suite, ces contrats fonctionnent de la manière suivante :
- Tout d’abord, un contrat est rédigé et ajouté à la blockchain. Il s’agit tout simplement de code informatique qui pourra s’exécuter en ligne. Par exemple,
- SI on est le 21/12/2012 ALORS le contrat se désactive;
- SI le contrat reçoit le message « livraisonOK » de l’utilisateur X (et que le contrat est encore activé) ALORS le créateur du contrat verse 1 ETH (ether) sur le compte de X.
- Une fois le contrat sur la blockchain, personne ne peut l’altérer, et il s’exécutera automatiquement (suivant ce qui a été prévu). Ce qu’il fera alors sera absolu et ne pourra être discuté (le code étant visible dès le départ)…
- Le contrat s’exécute de lui-même via les millions d’ordinateurs à disposition lorsque les conditions sont remplies. Par exemple, si la date fatidique est atteinte, il indique à tout le monde qu’il est désactivé. S’il a reçu le message attendu, passé via la blockchain, le contrat sera obligé de faire ce qui était programmé et on ne pourra pas le contester (puisque le message sera infalsifiable et indiscutable).
Une blockchain d’intelligence artificielle SingularityNet
Maintenant qu’on a présenté les contrats intelligents, revenons-en à SingularityNet.
Fondée par Ben Goertzel, chercheur en intelligence artificielle et directeur de recherche à Hanson Robotics, un ancien de Cisco, Hawei ou encore Intel, la blockchain d’IA a pour objectif de contrecarrer l’hégémonie des sociétés qui rachètent toutes les start-up innovantes. Pour lui, les intelligences artificielles vont forcément finir par atteindre un niveau de maturité équivalent à celui des humains, et il ne veut pas que la première IA de ce type appartiennent à un état ou à une compagnie « qui n’oeuvre pas pour le bien de l’Humanité mais pour ses propres intérêts ». Une IA née dans ces conditions, serait certainement davantage tournée vers la publicité, l’exploitation des marchés, etc… plutôt que vers la résolution de notre problème environnemental qu’est le réchauffement climatique.
Ainsi, en se basant sur le système de smart contracts, il voudrait proposer à chacun de mettre dans la blockchain des IA, chacune hébergée par un noeud (soit un ensemble d’ordinateurs). Par exemple, une IA spécialisée dans la synthèse vocale s’exécuterait directement sur le réseau distribuée, et pourrait être contactée à la manière des contrats classiques. En échange d’une prédiction ou d’un autre type d’information, elle serait « rémunérée » via la crypto-monnaie de SingularityNet (AGI)…
Le principe est relativement simple, et représente une manière originale d’utiliser les contrats intelligents, dont la limite des applications possibles reste encore à définir !
A terme, on aurait ainsi beaucoup d’IA dans SingularityNet, d’abord spécialisées dans des tâches précises, mais qui pourraient, petit à petit, apprendre à collaborer entre elles. On pourrait imaginer qu’une IA spécialisée en synthèse vocale se joindrait à une IA de résumé de texte pour fournir une IA de résumé vocal de texte.
De fil en aiguille, les IA évolueraient et deviendraient véritablement intelligentes, non pas chez Google ou Microsoft, mais dans ce système décentralisé inaltérable et public !
Quel avenir pour la crypto-monnaie SingularityNet ?
Les promesses sont belles, mais pourraient présager du pire : si une IA hostile à l’Humanité voyait le jour dans cette blockchain d’IA, il serait quasiment impossible de l’éteindre puisqu’elle serait copiée sur des millions d’ordinateurs du réseau…
Néanmoins, nous n’en sommes pas là, et les investisseurs de SN semblent confiants. En décembre a eu lieue l’offre initiale monétaire (ICO, Initial Coin Offering) sur cette blockchain pour mettre en vente 50% de la totalité des pièces disponibles, les AGI (Artificial General Intelligence). Cette première manière de lever des fonds a été saluée d’un grand succès puisque 36 millions de dollars ont été dépensés… en 1 jour !
Concernant les 50% AGI restants (soit 250 millions d’AGI), ils seront distribués aux collaborateurs du projet mais surtout à une fondation qui les reversera aux projets d’intelligence artificielle caritatifs.
Enfin, les jalons de cette ambitieuse blockchain d’IA destinée à concurrencer Google et Facebook sur leur terrain, sont les suivants :
- 2016 : création du projet
- 2017 : test de marché avec un POC (proof of concept, soit une version d’essai)
- Début 2018 : beta test avec les partenaires pour finaliser SingularityNet
- Fin 2018 : Lancement du Global AI Marketplace, la blockchain SingularityNet ouverte à toutes et à tous
- 2030 ? : Emergence d’une IA véritablement intelligente, appellée Intelligence Artificielle Générale (AGI)
Crédit de l’image de couverture : Lambert Rosique