Cela semble n’être que science-fiction, et pourtant nous voici peut-être aux prémices de la télépathie ! En se basant sur les interfaces cerveau-ordinateur (BCI), des chercheurs de l’Université de Washington à Seattle ont utilisé une interface cerveau à cerveau (BBI) permettant à trois personnes de communiquer uniquement par la pensée. De quoi nous rapprocher d’un réseau social cérébral à grande échelle. Explications :

Quel est le principe du BrainNet ?

L’information est perçue par électroencéphalogramme (EEG), et envoyée par stimulation magnétique transcrânienne (SMT), des techniques -il est important de le souligner- non-invasives.

L’électroencéphalogramme mesure l’activité électrique de notre cerveau par le biais d’électrodes placée sur la surface de notre crâne. Il permet d’enregistrer plusieurs types d’ondes (alpha, bêta, gamma…) selon leurs fréquences, qui varient en fonction de l’activité cérébrale.

La stimulation magnétique transcrânienne permet de modifier ces activités électriques par injection d’un champ magnétique à la surface du crâne vers une zone choisie (dans cet article, dans le cortex occipital).

Le principe de l’expérience ? Trois personnes veulent jouer à un jeu de type Tetris. Il y a deux « émetteurs » qui peuvent voir tout l’écran et un « receveur » de l’information, qui ne voit pas la ligne du bas. Le but pour les émetteurs est d’indiquer au receveur s’il doit tourner ou non la pièce de Tetris qui descend pour qu’elle puisse s’emboîter et former une ligne en bas.

Ici, les grandes nouveautés qu’ont apportés Andrea Stocco et ses collègues sont tout d’abord que la communication entre cerveaux se fait à plus de deux personnes. Ensuite, il y a un second niveau d’interaction, car le receveur pourra à son tour envoyer l’information aux émetteurs pour qu’ils puissent adapter leur décision pour la suite des événements. Enfin, contrairement aux BBI précédents, le receveur n’aura pas de tâche motrice à effectuer pour engendrer l’action, il n’utilise que sa pensée.

Tetris: Prise de décision et adaptation

Pour entrer un peu plus dans les détails, les deux émetteurs ont donc le même rôle d’envoyer la décision ou non de tourner la pièce de Tetris. Cette décision est mesurée grâce à des « potentiels visuels évoqués » (SSVEPs). Pour envoyer la commande « tourner la pièce », l’émetteur dirige son regard sur une LED clignotant à 17Hz placée d’un côté de l’écran. Pour la commande « ne pas tourner la pièce », il regarde une LED clignotant à 15Hz placée de l’autre côté. En effet, lorsque la rétine perçoit des flash lumineux d’une certaine fréquence, le cerveau génère une activité du même ordre de fréquence dans le cortex visuel (lobe occipital). Cette fréquence peut donc être enregistrée par l’EEG, et envoyée vers le receveur.

EEG
Principe de l’électroencéphalogramme (EEG) (crédit : http://science.education.nih.gov/supplements/nih3/sleep/guide/info-sleep.htm – Public Domain)

Le receveur perçoit donc les deux décisions indépendantes des émetteurs. Une fois qu’il a décidé de tourner la pièce ou non, le receveur peut à son tour envoyer cette information aux deux émetteurs, qui vont pouvoir effectuer un deuxième round de décision. Comme le receveur utilise à la fois la stimulation magnétique transcrânienne et l’EEG, il n’utilise aucune fonction motrice.

A l’instar d’un véritable réseau comme Internet, le sujet recevant les informations se doit de pouvoir trier quelles données sont fiables au sein du BrainNet. Pour cela, l’équipe est allée plus loin : ils ont injecté de manière aléatoire du bruit dans les données expédiées par l’un des émetteurs. Le receveur va ainsi pouvoir au cours de l’expérience déterminer lequel des émetteurs donne des informations fiables.

BrainNet : du binaire à la réalité

Un bon moyen de mesurer si une information est correctement transmise entre deux sujets est l’ information mutuelle entre les sujets (MI). Elle est définie par :

\(MI(R,S) = \sum_{r \in \{0,1\}} \sum_{s \in \{0,1\}} \log \frac{p_{R,S}(r,s)}{p_{R}(r)p_{S}(s)}\)

Où :

  • \(r\) représente la décision prise par le receveur (1 = tourne la pièce, 0 = ne tourne pas la pièce)
  • \(s\) la décision prise par l’émetteur
  • \(p_R(r)\) la probabilité que le receveur prenne la décision \(r\)
  • \(p_S(s)\) la probabilité que l’émetteur prenne la décision \(s\)
  • \(p_{R,S}(r,s)\) la probabilité commune que le receveur prenne la décision \(r\) et l’émetteur la décision \(s\).

Une communication erratique basée sur la chance aura donc un MI=0.0, et une communication parfaite aura un MI=1.0.

Dans l’expérience du BrainNet, le MI a été significativement meilleur pour les émetteurs d’informations correctes que pour les émetteurs envoyant des informations bruitées (MI « bon émetteurs »=0.336, MI « mauvais émetteurs »=0.051). Dans 81.25% des cas, le message est bien passé !

Ainsi, l’équipe a réussi à unir trois personnes par un réseau de pensées afin de résoudre un problème. Les sujets peuvent être équipés à la fois d’EEG et de SMT afin d’envoyer et recevoir l’information, et peuvent même déterminer que des sources sont plus fiables que d’autres. Mais elle ne désire pas s’arrêter en si bon chemin : jusqu’à présent, les données convoyées sont sous forme binaire, « Go/No-Go ». Ces chercheurs souhaitent donc utiliser l’IRM fonctionnelle en plus de l’EEG afin d’élargir le nombre de données du BBI tout en gardant une bonne échelle temporelle. Ils voudraient également utiliser la SMT au niveau d’autres régions corticales aux niveaux cognitifs plus élevés afin d’envoyer des signaux plus complexes, tels que des concepts sémantiques.

Il y a encore beaucoup à faire avant de pouvoir étendre nos capacités de communication et d’interaction sociale, mais cette première avancée nous amènera peut-être vers un réseau social des cerveaux !

Crédit de l’image de couverture : Tim BartelCC BY-SA 2.0